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Article E.R du 9 juin 2016 UN JOUR, UNE HISTOIRE - ARRAYE-ET-HAN - MYRIAM DENJEAN ORGANISE UN CONCERT GOSPEL EN PENSANT À SES ANCÊTRES
ARRAYE-ET-HAN : DESCENDANTS D’ESCLAVES
MYRIAM DENJEAN A LANCÉ
l’idée d’organiser un concert des Gospel Mississippi dans l’église
d’Arraye-et-Han, où elle tient le gîte du Moulin de Chambille. Avec
l’aide du foyer rural de la commune, et de nombreux sponsors séduits
par l’initiative, ce concert se tiendra ce samedi, à 20 h 30. Il sera
gratuit. En même temps que ce concert, une exposition sera consacrée à
l’abbé Grégoire, ce chantre de l’abolition de l’esclavage, grâce au
concours du musée qui lui est dédié à Emberménil dans le Lunévillois.
Rien d’exceptionnel dans tout cela, sauf que cette idée
est devenue comme une évidence pour Myriam. « J’ai appris grâce aux
recherches généalogiques faites par mon père que j’étais descendante
d’esclaves », explique-t-elle. « Alors que franchement, regardez-nous,
rien ne le laissait présager (elle et son père ont la peau bien
blanche). J’avais toujours été farouchement opposée à tout racisme, et
l’idée de l’esclavage m’avait toujours révoltée. C’était un sentiment,
le résultat d’une éducation. Mais là, c’est comme si je le ressentais
dans ma chair. Voir les documents que mon père a collectés m’a retourné
les sangs. Il fallait que je fasse quelque chose pour en parler, pour
apporter ma petite pierre à l’édifice. Et faire un pied de nez au
racisme et à l’intolérance qu’on sent revenir ces derniers temps. »
Libre à la demande de son propriétaire
Ces documents, son père Elie Dieudonné est allé les
chercher en Martinique, à Saint-Pierre. « Ma grand-mère était
originaire du Marin. J’avais une cousine qui était très typée, une sœur
avec des cheveux crépus comme peuvent l’être ceux des Africaines. J’ai
voulu savoir d’où je venais. Et là-bas, je suis tombé sur l’acte de
mariage de mon arrière-grand-mère, Emilie Marie-Philippe, établi en
1877. Sur le document, il est fait état d’un acte d’individualité No
2863 lui tenant lieu d’acte de naissance. C’est là que j’ai compris que
j’avais des ancêtres esclaves. »
Ce même acte de mariage indique ensuite qu’Emilie Marie
Philippe est la fille majeure du « Sieur Marie Philippe surnommé
Florival. En remontant plus loin dans la lignée, Elie Dieudonné a
retrouvé la trace de l’affranchissement de la grand-mère de Florival.
Sur ce document établi toujours dans la commune de Saint-Pierre, il est
écrit que « Louisonne, dite Simone, âgée de 67 ans, mulâtresse créole
», devient libre de fait à la demande de son « propriétaire ».
Ce bond en arrière dans l’histoire familiale, et dans
leurs origines, Elie le poursuit toujours, notamment du côté
d’Aix-en-Provence où sont entreposées les archives nationales
d’Outre-mer : « Je ne sais pas si j’y parviendrai un jour, mais ce que
j’aimerais, c’est savoir de quel pays d’Afrique venaient mes ancêtres.
J’aurai alors atteint mon but. Mais ce sera très long et compliqué. »
Le papa de Myriam Denjean poursuivra ses recherches. En
attendant, sa fille a organisé ce concert de gospel samedi soir, et
cette exposition dédiée à l’abbé Grégoire et à l’abolition de
l’esclavage. « Lorsque j’ai lancé cette idée », remarque Myriam, « ici
dans notre petit village d’Arraye-et-Han, je n’imaginais pas être
soutenue à ce point. Mais je me trompais. Les gens ont adhéré
immédiatement. Un collectif s’est créé, avec des gens du foyer rural
d’Arraye, et les sponsors sont arrivés. J’ai reçu une aide formidable.
Sans eux, je n’aurais rien pu faire. »
Myriam a été touchée par la solidarité qui s’est
exprimée autour de son projet. Dans son petit bout de campagne
lorraine, au creux des méandres de la Seille, il semblerait qu’un
village et ses alentours aient choisi de résister à la montée du
racisme et à la résurgence de certaines idées aux relents nauséabonds.
Et ça, ça la rend heureuse, Myriam.
Rendez-vous samedi à 20 h 30 à l’église d’Arraye-et-Han. Concert de la chorale Gospel Mississippi. Entrée libre.
Des individus enfin
« L’acte d’individualité » retrouvé par Elie Dieudonné,
concernant son arrière-grand-mère Emilie Marie-Philippe, a été établi
le 3 février 1849 à Saint-Pierre. Cet acte d’état civil attribue une
identité, nom de famille et prénom, à un esclave. Avant 1848, le régime
juridique institué par l’esclavage ne reconnaissait pas d’état civil
proprement dit aux esclaves.
Patrice BERTONCINI